Sans aucun bruit, l’élégante coque noire de la goélette Opal fend la mer, une faible quantité d’écume vient frapper la proue, et de temps en temps, une tache vert foncé luit du fond de la mer. J’admire la façon dont ce bateau élégant quitte lentement le port après avoir embarqué quinze personnes, dont la joie se lit sur le visage. Il est huit heures du matin et la première expédition de la journée commence au port d’Húsavík. Elle va durer quatre heures. Grâce à un nouveau système de propulsion neutre en carbone, les passagers peuvent observer la nature de manière douce et en étant sûrs de ne pas déranger les créatures marines dans leur habitat.
Nous nous trouvons dans la petite ville d’Húsavík, située à plus de cinq heures de route au nord de la capitale Reykjavík, dans la baie de Skjálfandi. Dans ce lieu extrême, les journées sont courtes et sombres en hiver, longues et ensoleillées en été. L’hiver, le soleil ne brille que quatre heures par jour ; mais les nuits polaires et leurs splendides aurores boréales pallient ce manque de lumière. L’été, en revanche, le soleil de minuit darde ses derniers rayons en pleine nuit, malgré une température de l’air et de l’eau qui dépasse difficilement les dix degrés la journée. Mais ces températures que nous jugeons froides offrent aux nombreuses créatures qui peuplent l’Océan Atlantique des conditions de vie idéales : l’été 2016, nous avons vu dans les eaux d’Húsavík des baleines bleues, des rorquals communs, des petits rorquals, des rorquals à bosse, des épaulards et même un cachalot. Nous avons également eu la chance de rencontrer différentes espèces de dauphins, une grande population de macareux et de nombreuses espèces d’oiseaux lors de nos expéditions.
À l’origine de cette histoire, il n’y a ni baleine, ni dauphin, ni macareux, mais une passion pour les voiliers traditionnels en bois. Après avoir terminé mes études de musique en Norvège, je suis retourné dans ma ville natale et y ai constaté avec effroi que des voiliers islandais hors d’usage avaient été démontés et brûlés, alors que plus rien de tel ne se fabriquait. Aux yeux de mon frère Hördur et moi, fils d’un pêcheur, c’était un véritable crime. En 1994, nous avons alors décidé de sauver d’une mort certaine une vieille goélette islandaise en chêne en la rachetant. C’était «Knörrinn», le bateau de la chance. Pourquoi ce nom ? Parce qu’en 1963, il avait survécu à une journée de tempête qui avait coûté la vie à 16 pêcheurs de l’île et à leurs bateaux. En 1968, il avait survécu à une collision avec un iceberg. Aujourd’hui, Knörrinn a plus de 2000 excursions et 40 000 passagers à son actif.
De prime abord, nous n’étions pourtant pas certains de pouvoir dégager un revenu de notre activité, car la rénovation et l’entretien coûtaient beaucoup d’argent. Nous nous sommes essayés à plusieurs disciplines, et ce sont les excursions d’observation des baleines qui ont remporté le plus de succès. C’est donc un peu par hasard que nous avons créé la société North Sailing en 1995, la première du pays à proposer régulièrement ce type d’excursions. Aujourd’hui, nous possédons dix bateaux au total, employons 170 personnes en été et attirons plus de 700 personnes chaque jour avec nos excursions.
En plus de Knörrinn, nous n’avons que de vieux bateaux qui servaient autrefois de bateaux de pêche et auxquels nous avons donné une nouvelle vie. Notre but est de conserver ces vieux chefs-d’œuvre islandais que sont les bateaux en chêne, que l’on doit aux bûcherons d’autrefois. Le dernier-né de North Sailing, l’Andvari, était même un bateau de chasse à la baleine. Chez North Sailing, nous pensons que tout le monde mérite une seconde chance, y compris les capitaines de nos voiliers. Beaucoup d’entre eux sont des pêcheurs, et parfois même des chasseurs de baleines reconvertis. Grâce à North Sailing, ils se sont rendu compte qu’il était préférable de garder les baleines en vie non seulement pour des raisons écologiques, mais aussi économiques.
Malheureusement, aujourd’hui encore, la chasse à la baleine perdure. À l’heure actuelle, les Islandais ne consomment plus de viande de baleine. Ce sont les touristes qui maintiennent le marché de la chasse à la baleine en vie, pensant se prêter à une tradition islandaise en goûtant la viande de baleine. Chez North Sailing, la nature et ses êtres vivants occupent le premier plan. Nous souhaitons que nos passagers puissent profiter d’une certaine proximité avec la nature, mais en faisant toujours preuve de respect envers la nature. Les voiliers nous permettent de nous déplacer en mer de manière écologique et silencieuse. Car les baleines et dauphins n’aiment pas être dérangés par les bruits et vibrations des moteurs.
Mais nous voulons aller plus loin. Il y a quelques années, nous avons donc eu l’idée de transformer nos bateaux écologiques en bateaux entièrement neutres en carbone. De plus, ces dernières années, nous avons effectué des recherches sur une technologie que nous exploitons sur notre goélette Opal depuis 2015 : le bateau est propulsé par une batterie qui se recharge par l’énergie verte produite sur la côte. Par ailleurs, l’hélice peut produire elle-même de l’énergie en tournant dans l’eau, et alimenter ainsi la batterie et l’électricité à bord. À l’avenir, nous aimerions faire en sorte que toute notre flotte soit neutre en carbone et partager nos connaissances sur cette nouvelle technologie avec d’autres entreprises.
Il est midi lorsque j’aperçois l’Opal rentrer au port d’Húsavík. Les passagers ont le visage rougi par le soleil mais rayonnant. Après un crochet par l’île de Grimsey, où ils ont observé des macareux, ils sont tombés sur le chemin du retour sur un marsouin curieux, qui leur a fièrement présenté sa nageoire. Depuis le temps, j’ai appris à connaître les différentes personnalités des baleines au large des côtes islandaises.