Les réservoirs d’eau sont remplis, le réfrigérateur aussi. Les bagages sont faits, on fera le plein en route. C’est le moment tant attendu de prendre congé. Il est 14h, l’aventure commence. Direction l’Autriche, où nous arrivons dans les bouchons dès la frontière. Ces ralentissements donnent le ton car, comme nous l’apprendrons à de maintes reprises durant ce voyage, tout vient à point à qui sait attendre.
Partis de Zurich, nous traversons l’Autriche, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Bulgarie et enfin la Turquie où nous prenons le ferry à Mersin pour atteindre Port-Saïd. De là, nous parcourons l’Égypte, prenons le ferry d’Assouan à Wadi Halfa au Soudan et traversons l’Éthiopie pour rejoindre le Kenya.
En venant d’Éthiopie, dans la zone neutre, on peut lire «Keep Right» sur un panneau. À la fin du chemin, au moment de passer la douane kényane, le même panneau indique cette fois «Keep Left». Pas bien spectaculaire comme passage de la conduite à droite à la conduite à gauche. Nous sommes en tout début d’après-midi, et nous décidons de continuer notre route vers Marsabit en empruntant une voie qui doit être la pire de tout le continent. Et c’est peu dire: la chaussée est parsemée de nids-de-poule profonds et l’orniérage forme des mini-canyons. Même avec le mercure qui s’emballe, nous devons rouler avec les vitres montées et malgré cela, la fine poussière trouve tout de même son chemin jusqu’à l’habitacle. Nous passons la nuit sur un terrain de camping géré par Heiri, un Suisse qui vit au Kenya depuis plus de 30 ans. En plus du camping, il possède une entreprise de construction et une petite fabrique de meubles. Cet ancien coopérant au développement emploie une trentaine de personnes, ce qui fait de lui l’un des employeurs les plus importants de la région.
Le lendemain, nous remarquons que l’un des pneus arrière est à plat. En le regonflant, c’est la sécurité du compresseur qui lâche. Par chance, nous en avons une de rechange. Marsabit est un village plutôt endormi, mais nous tombons sous le charme de ses jolis étals de marché. Les autochtones y portent des vêtements traditionnels colorés et nous y trouvons tout ce dont nous avons besoin.
Nous progressons à vitesse modérée sur des routes cahoteuses, boueuses et glissantes. L’orniérage, la chaussée inégale et notre conduite quelque peu optimiste nous donnent parfois l’impression de faire de la luge. Une vache manque de peu de finir encastrée dans le radiateur de notre Land Rover. Nous doublons de nombreux camions restés coincés et devons redoubler de vigilance pour ne pas rencontrer le même sort. Au final, les pneus spéciaux pour terrains boueux – décidément une bonne idée – font bien leur travail et nous tirent des situations les plus délicates. 120 kilomètres plus tard, c’est enfin le début de la route goudronnée. Nous devons nous enregistrer aux portes de la réserve nationale de Shaba. Après 27 kilomètres, nous atteignons Joy’s Camp, où Francine, la responsable, nous accueille chaleureusement. Au cours du déjeuner, nous avons l’occasion d’observer des buffles qui broutent non loin du lodge et nous nous réjouissons déjà de notre premier safari-photo en Afrique orientale.
Sur la route de Nairobi, les camions sont nombreux et nous sommes témoins de quelques tentatives de dépassement plutôt osées. Nous passons l’équateur sous une pluie torrentielle qui écourtera considérablement l’arrêt photo. Peu avant Nairobi, nous empruntons pour la première fois une autoroute africaine. La prudence est de mise : la chaussée est émaillée de ralentisseurs et de passages piétons.
La route depuis Ololo Gate ressemble à un lit de rivière à moitié asséché: nous devons rouler au pas et traverser d’énormes flaques d’eau. En fin d’après-midi, nous atteignons le camp, perché sur des collines et offrant une vue idyllique sur le Masai Mara. Zèbres, girafes, buffles, éléphants, antilopes, gnous par milliers, phacochères et une famille de lions avec leurs petits font d’excellents sujets de photos. Nous prenons le déjeuner sur les rives de la Mara en observant un troupeau de gnous qui essaye de traverser la rivière. Les nombreux vautours, crocodiles et cadavres de gnous n’ayant pas réussi la traversée sont autant de mauvais présages. Deux bonnes heures plus tard, le premier gnou se lance dans l’eau, suivi par des centaines d’autres. Un spectacle incroyable... Nous retenons notre souffle, mais tous les animaux finissent par atteindre l’autre rive en un seul morceau.
À Musoma, nous cherchons un logement et débarquons au Tembo Beach Hotel, bordant le lac Victoria. Après un spectaculaire coucher de soleil au bord du lac, nous devons nous retrancher dans notre chambre contraints et forcés, car les moustiques arrivent par centaines. Le matin, nous prenons la route en direction de la réserve Grumeti. À notre arrivée au Singita Sabora Tented Camp, nous sommes accueillis par un lavage de mains traditionnel. Nous partons ensuite en safari-photo et découvrons que tout n’est pas rose dans la partie sauvage du parc. Nous tombons sur un éléphanteau mort. Il vient de s’éteindre et sa mère le pleure dans un mugissement retentissant.
Pour entrer dans l’aire de conservation du Ngorongoro, il faut débourser la modique somme de 480 USD. Le prix est coquet, mais manquer cette visite serait un sacrilège. Après des heures d’«african massage» (sentiers cahoteux) et d’«african lotion» (poussière), nous sommes biens contents de trouver le lit de notre lodge. Nous bénéficions même d’une vue sur l’intérieur du cratère. Le matin suivant, nous recevons des boites repas et nous nous mettons en route. Dans le cratère, la pente est escarpée, mais la vue est imprenable. En bas, nous sommes accueillis par un troupeau de buffles, des zèbres et quelques Massaï avec leurs vaches. Nous avons l’occasion d’observer des hippopotames, des singes, un guépard, une hyène, de nombreux gnous et quelques lions qui viennent d’attraper un buffle.
Dans le parc national du lac Manyara, nous tombons sur un éléphant mâle qui nous barre la route. Il est en train de déraciner un arbre. Il ne nous reste qu’à attendre patiemment en profitant de la nature environnante et de la vue spectaculaire. Construit autour d’un baobab de 800 ans, le Tarangire Treetops Lodge s’intègre parfaitement dans son environnement. L’après-midi, nous entreprenons une balade dans le bush alentour et rencontrons quelques zèbres, girafes, antilopes et même des buffles.
Dans le parc national d’Amboseli, nous échangeons à des femmes Massaï une grande partie du contenu de notre réfrigérateur contre des bagues fabriquées à la main. Lors de la suite du trajet, la vue sur le Kilimandjaro est malheureusement obstruée par des nuages épais. En guise de consolation, nous sirotons un «Pimm’s N°1» avec du concombre et de la menthe et savourons un menu local accompagné d’ugali blanc, une polenta au maïs traditionnelle.
Après un petit tour par le parc national de Tsavo, nous nous retrouvons sur la route principale menant à la côte, tout comme d’innombrables minibus publics. Ces derniers suivent la plupart du temps un parcours fixe, mais sans horaire précis. Pour monter à bord, il suffit de se tenir sur le bord de la route et de faire signe aux conducteurs. Si le minibus n’est pas trop rempli, il s’arrête. Le trajet ne coûte pas grand-chose. En plus des personnes, des animaux de tous poils font aussi le trajet, et le nombre de passagers à bord est au moins deux fois plus élevé que l’occupation maximale théorique. Cela ne dérange pas les conducteurs qui d’ailleurs n’ont pas forcément le permis de conduire. La concurrence étant ouverte, chaque conducteur essaye d’attirer un groupe-cible particulier au moyen d’un slogan racoleur sur son pare-brise. God loves you, Massah Allah, Chelsea, ManU, Ice Cold, Doctor, Inspector, mais aussi Mama’s the best ou Police ne sont que quelques exemples.
Après une agréable baignade dans l’océan Indien au Kenya, nous avons pris goût aux plaisirs balnéaires et nous offrons un séjour dans un resort sur la côte tanzanienne. Nous apprenons que des tortues de mer vont bientôt éclore. Sur la plage, nous ne sommes pas les seuls à ne pas vouloir manquer ce spectacle. Peu avant le coucher du soleil, nous observons plus de 160 petites tortues qui prennent la direction de la mer, échappant aux crabes qui veillent au grain.
Arrivés à Dar es Salaam, nous nous offrons un burger accompagné de frites au fast-food «Mary Brown». Nous poursuivons par une soirée cinéma avec James Bond. La salle est très moderne, et dispose, comme l’indique fièrement une grande enseigne à l’entrée, du «plus grand écran d’Afrique de l’Est». Le son en revanche, semble être un peu fort pour le bébé et l’enfant qui sont assis à côté de nous... Les restrictions d’âge que nous connaissons sont bien affichées, mais visiblement ignorées.
En direction de Chalinze, nous sommes bien vite immobilisés dans le trafic – il y a des chantiers absolument partout. Pour la première fois en Afrique, ce n’est pas une entreprise chinoise qui rénove les routes mais l’entreprise autrichienne Strabag! On compte par douzaines les vendeurs ambulants proposant ballons, DVD, boissons fraîches ou encore ventilateurs à pied. Le trajet nous fait traverser de nombreux villages et des zones limitées à 50. Sur 100 kilomètres, nous sommes arrêtés trois fois par la police. La première fois pour excès de vitesse (61 km/h au lieu de 50), ce qui nous coûtera 30 000 shillings tanzaniens d’amende. La deuxième fois pour avoir dépassé malgré l’interdiction de dépassement – encore une amende de 30 000 shillings. Et la troisième fois sans aucune raison. Le policier est tout content de pouvoir parler français avec nous et nous laisse partir – sans amende cette fois!
Au loin, nous apercevons le turquoise scintillant du lac Malawi. Longeant ses rives, nous mettons le cap sur Karonga, la plus grande ville du Nord du pays, avant d’emprunter un petit col pour atteindre Chimpamba et Rumphi. Nous voulons faire le plein, mais il ne reste plus de diesel dans aucune des stations-service sur notre chemin. La route menant au Chelinda Lodge n’est praticable qu’en véhicule tout terrain; elle est très cahoteuse et présente par endroits quelques pentes très raides. Sur le plateau de Nyika, c’est une immensité sans fin qui nous attend, ponctuée de douces collines et de vertes prairies. Nous nous promenons dans un pré verdoyant, entre zèbres et antilopes rouannes, nous extasions devant la flore et apprécions le superbe panorama. Au Chelinda Lodge, le dîner nous est servi devant la cheminée de notre chalet. À Mzuzu, troisième ville du pays par sa population – 130 000 habitants –, les files de voitures sont longues devant les stations-service. À Khata Bay, Chintheche et Dangwa également, aucune station ne propose du diesel. Nous poursuivons vers Salima. En chemin, nous constatons que de nombreuses personnes au Malawi se déplacent en vélo ou à pied, et très peu en voiture – ce n’est pas gagné pour faire le plein. Il fait déjà sombre lorsque nous arrivons à la station-service, mais nous pouvons enfin nous ravitailler en diesel!
C’est à bord d’un bateau à voile traditionnel que nous découvrons le lac Malawi avant d’entreprendre une sortie de snorkeling à West Thumbi Island, surnommée «the aquarium». Et pour cause, nous nous retrouvons rapidement entourés d’énormes bancs de poissons colorés. Nous poursuivons notre chemin le long de la côte pour observer les balbuzards pêcheurs, que notre capitaine tente d’appâter avec des poissons. Le spectacle est sensationnel: les grands oiseaux nous frôlent de très près avant d’attraper les poissons dans l’eau. C’est le cœur lourd que nous quittons le Malawi, la tête chargée de merveilleux souvenirs de ce pays enchanteur.
En route, impossible de s’ennuyer avec tous les vendeurs ambulants qui proposent entre autres mangues et noix de cajou. Certains vont même jusqu’à risquer leur vie pour attirer l’attention du client: ils se tiennent au milieu de la route en faisant des signes, et il faut piler pour ne pas les écraser. Les autres véhicules ou tuk-tuk, pleins à craquer et transportant par-dessus le marché des chèvres, sont un spectacle assez divertissant. Parfait contraste, les paysages solitaires et l’océan sauvage forment un décor idyllique. Nous décidons de nous promener le long de la côte mais nous sous-estimons quelque peu l’impétuosité des vagues et nous retrouvons bien vite trempés. Après avoir visité Maputo, nous arrivons déjà à la frontière sud-africaine et nous ne sommes pas les seuls.
La différence entre l’Afrique du Sud et les autres pays africains au programme de notre voyage est frappante. Chaque centimètre carré de terre est exploité pour l’agriculture, les voitures sont neuves et ne dégagent pas des mètres de fumée, les routes sont en excellent état. Il existe des boutiques aux stations-service et des centres commerciaux dans les villes. À Durban, nous réglons les formalités pour le transport par bateau de notre Land Rover. Notre voiture va en effet être chargée sur un bateau et arrivera un mois plus tard en Suisse. C’est avec un certain malaise que nous abandonnons notre fidèle compagnon de route de ces 3 derniers mois et remettons les clés. Avant de parcourir les derniers kilomètres en direction du Cap à bord d’une voiture de location avec une climatisation ô combien appréciée, nous partons une fois encore pour un safari.
La Gondwana Game Reserve offre une vue sans pareil sur la plaine de fynbos. Le matin suivant, nous partons en safari-photo. La vallée embrumée et le soleil levant confèrent au lieu une ambiance unique, presque mystique. Nous apercevons un éléphant mâle solitaire, un superbe lion et de nombreux zèbres, antilopes et oiseaux. Après cette dernière journée avec les animaux sauvages, nous empruntons un col sinueux pour atteindre la région viticole. Nous ne manquons pas de faire un arrêt à Franschhoek, un village francophone, après quoi vient le moment de prendre congé du continent africain. Malgré la joie de retrouver la Suisse, nos familles et nos amis, le retour à la maison n’a jamais été aussi difficile. Ces quatre mois sont à ce jour les plus beaux et les plus extraordinaires de notre vie.
Sans oublier le PLUS IMPORTANT: le 1er décembre, nous nous sommes mariés dans le parc national Kruger en Afrique du Sud. Au Singita Lebombo Lodge, nos invités ont eu l’occasion de faire leur premier safari-photo en véhicule ouvert pendant que la mariée et ses témoins se faisaient chouchouter au spa. En soirée, tous se sont retrouvés au bord de la rivière pour une cérémonie originale dans le superbe décor du bush africain. Le grognement des hippopotames en arrière-plan, l’entrée de la mariée sur fond musical, l'échange des vœux, le chœur formé par tous les invités, le repas ponctué du discours touchant des deux papas, le lancer de bouquet, le concert de Starch (www.starchmusic.com), le gâteau de mariage servi si tard qu’il en fut presque oublié et la chanson de bonne nuit à 3h du matin sont autant de moments inoubliables de ce mariage hors du commun.
La version originale de cet article est parue dans la publication de Private Safaris "News Africa".
Photos: Alexandra Nägeli